Un revenu de base au Québec

Être récipiendaire d’un revenu de base dû au hasard, il en existe plusieurs en Allemagne, un bon nombre en France et quelques-uns aux États-Unis, et il y en a un au Québec.
C’est un Gaspésien, c’est Martin Zibeau.

Voyez ce qu’il dit de son expérience.

L’expérience concrète d’un prestataire

Loin de moi l’idée d’essayer de contre argumenter à la hauteur des économistes, professeures ou autres spécialistes académiques de la question économique, au sujet du revenu universel. Je n’ai pas l’expertise sur les théories qui y sont présentées.

Toutefois, là où je peux m’exprimer, c’est au niveau expérientiel en lien avec un revenu de base. Spécifiquement, ce à quoi pourrait ressembler une assurance-revenu de base inconditionnelle et aussi rapidement que possible, je l’espère, universelle.

C’est que depuis le 1er janvier 2020, chaque semaine je reçois un montant de base garanti et inconditionnel dans le cadre d’un projet pilote complémentaire à un autre projet qui voudrait instaurer une assurance-revenu de base inconditionnelle et universelle pour les personnes habitant la Gaspésie-Les-Îles et le Bas-Saint-Laurent. (Le projet de L’ARBRE – L’Alliance pour un Revenu de Base des Régions de L’Est

Et comme la grande majorité des personnes ayant bénéficié d’un revenu de base dans un des multiples projets pilotes avant moi(1), j’en arrive à la conclusion que ça marche!

Je ne sais pas si mes mots porteront les gens à penser que j’utilise le contexte actuel de crise pour tenter de créer un capital de sympathie envers l’idée d’un revenu de base. Mais je peux dire avec certitude que pour mes deux enfants et moi, n’eût été celui-ci, la crise que nous traversons ne l’aurait pas du tout été de manière aussi agréable (si je peux me permettre d’utiliser cette expression).

Le projet des régions de l’Est-du-Québec a ceci de particulier qu’il est une assurance-revenu de base inconditionnelle et universelle qui n’est pas versée directement à tout le monde, mais est accessible pour tout le monde sans exception en cas de besoin. Cette particularité est importante tant au niveau du coût de l’initiative que de l’idée. Elle s’inscrit dans la lignée des assurances du Québec et du Canada avec leur système d’assurance-santé universel, l’accès universel à l’éducation, l’allocation canadienne pour enfants et le programme de pension et de supplément de revenu garanti pour les personnes âgées. Le caractère universel et inconditionnel des mesures revêt une importance particulière pour lutter contre la discrimination, la stigmatisation et l’exclusion. Les multiples programmes en place actuellement pour lutter contre la pauvreté exigent des gens qu’ils démontrent leur misère. Cette exigence répétée sape le moral, force à l’isolement et à l’auto-exclusion.

Vivant sobrement, mais consciemment sous le seuil de pauvreté depuis plusieurs années, je n’ai pas un énorme coussin financier. Mais, règle générale, quand tout va bien (lorsqu’il n’y a pas de pandémie!) je tire mon épingle du jeu avec de petits contrats çà et là. Nous faisons l’éducation à domicile en partie et je dédie mon temps au développement économique alternatif de ma région et au travail de ma terre. Je ne suis pas riche, mais je me sens libre et heureux. Mes deux enfants et moi mangeons convenablement et je me sens utile dans ma communauté.

Chaque semaine je reçois 375$, soit environ 19 500$ pour l’année. Ce n’est pas énorme, mais ça nous permet de payer l’hypothèque, les assurances, nos déplacements, notre nourriture, etc. Nos besoins de base.

Ce chiffre pourrait (et devrait) être révisé puisqu’il ne correspond pas à un montant suffisant pour assurer un revenu viable à la plupart des gens. L’IRIS parle plutôt d’entre 24 et 32 000$ selon la région où l’on habite. Mais ai-je besoin de vous dire à quel point ma vie n’aurait pas été la même dans le présent contexte sans ce montant en tant que travailleur autonome?

Ma qualité de vie (financière, physique et émotionnelle) est grandement aidée par cette sécurité financière qui m’est offerte. Notez que je n’utilise pas niveau, mais qualité de vie.

Si tout cet argent m’a permis de me sentir en sécurité, il est important de noter que 100% de cet argent s’est aussi immédiatement retrouvé dans ma communauté chaque mois. On s’entend qu’à 375$ par semaine avec une hypothèque et tout le tra-la-la, même si on vit sobrement, je ne pile pas les billets pour aller à Punta Cana à la fin de l’année!

Le concept du revenu de base (bien qu’il n’y en ait pas qu’une seule version) reste à parfaire. Bien des questions importantes sur les conséquences de certains de ses aspects doivent faire l’objet de réflexion et d’ajustement. Mais il est indéniable (en tout cas bonne chance aux théoricien.nes qui voudraient me dire le contraire face à mon expérience) qu’une somme comme celle que je reçois présentement change complètement la donne. Mon moral, ma santé, mon niveau de motivation, mon sentiment de liberté, même s’ils ne sont pas complètement dépendants de ce montant d’argent, en sont clairement positivement impactés.

Beaucoup de gens voient le financement d’un revenu de base comme son talon d’Achille. Vu comme ça, ce serait probablement le talon d’Achille de bien des services publics tel que l’éducation ou la santé. Au lieu de voir le verre à moitié vide, pourrions-nous le voir à moitié plein? Regarder les multiples retombées positives d’un revenu de base. De multiples expériences d’une forme ou d’une autre de revenu de base ont eu lieu. Elles ont démontré une diminution de la criminalité, une augmentation de l’incitation au travail et à la poursuite des études, une diminution des taux d’hospitalisation, d’accidents, des problèmes de santé mentale et des maladies infantiles et une diminution de la malnutrition. Ces expériences ont montré que cette allocation constituait un tremplin pour l’inclusion sociale, le développement de l’entreprenariat, et la réduction de la discrimination(2).

Alors qu’on se demande comment un pays comme le Canada pourrait se permettre de garantir un revenu de base inconditionnel à tous ces habitants et habitantes, je me demande comment on fait pour assumer présentement tous les coûts reliés à la pauvreté? De combien d’argent, si ce n’est que de cela dont on veut parler, nous privons-nous collectivement en ne permettant pas à 100% de nos citoyens et citoyennes d’avoir assez de ressources financières leur permettant de libérer leur créativité sans avoir à s’inquiéter d’un manque de nourriture ou d’un endroit où se loger?

Il est important de s’inquiéter de la reconnaissance de la valeur du travail des gens, particulièrement celle des femmes. Mais ne devrions-nous pas également nous inquiéter de la liberté de tous et toutes à choisir comment ils et elles veulent simplement vivre?

Si collectivement nous n’avons pas l’impression d’avoir les moyens de financer le réel bien-être des individus (alors que nous semblons avoir amplement les moyens de laisser s’échapper bien des dollars dans tout un lot de paradis fiscaux et autres gamiques) peut-être est-il temps de prendre un peu de temps pour revoir nos priorités collectives.

(1) Otjivero et Omitara, Namibie, 2008-2009, Alaska Permanent Fund depuis 1982 toujours distribué, Le Mincome, Manitoba, Canada de 1974 à 1978, Sud de l’Ontario 2017, Finlande 2017, Mein grundeinkommen Allemagne 2014 à aujourd’hui, Stockton É.U. 2019, Great Smoky Mountain 1993, monrevenudebase en France…

Daniel Häni

«Pour le zèle et l’obéissance, il y a des machines» Daniel Häni

En Suisse comme partout, la crise sanitaire ramène le revenu de base au coeur de l’actualité.
swissinfo.ch y trouve l’occasion d’interviewer l’entrepreneur bâlois Daniel Häni. L’un des plus grands promoteurs du référendum suisse sur le revenu de base de 2016, il y débusque quelques-uns des mythes sur le sujet.

Sur les sales boulots:

swissinfo.ch: Lors du vote de 2016, ne pensez-vous pas que de nombreux citoyens se sont demandé qui nettoierait encore les toilettes avec un revenu de base inconditionnel?
Daniel Häni: Cette question permet de comprendre beaucoup de choses. Cela implique l’attitude suivante: si nous voulons que les toilettes soient propres, nous devons rendre les gens existentiellement dépendants de ce travail pour qu’ils le fassent. Nous ne l’appelons pas «sale boulot» simplement parce qu’il s’agit de nettoyer la saleté. La peur existentielle rend les gens manipulables, dociles. Ceux qui ont de l’argent peuvent se débarrasser de ceux qui n’en ont pas. Mais cela ne fonctionne que si l’existence de base n’est pas assurée. Avec un revenu inconditionnel, personne ne pourrait être forcé de faire quoi que ce soit par peur existentielle.

Sur l’oisiveté:

swissinfo.ch: Le revenu de base inconditionnel ne promeut-il pas l’idée que «l’oisiveté est la mère de tous les vices»?
D. H.: Le RBI conduit à plus de volontariat dans le travail et favorise l’autodétermination et la volonté de créer. Qui ne doit pas, peut!

Lire en entier ici.

Acadie Nouvelle

Le quotidien Acadie Nouvelle a publié quelques articles sur le revenu de base, au cours de la dernière année. Ici, il nous offre son article le plus substantiel sur le sujet.

On y fait d’abord un bon court historique du sujet. Puis les choses étant bien posées, on y ajoute une entrevue d’un grand intérêt avec François Blais, professeur à l’Université Laval et ex-ministre des Affaires sociales du Québec, à qui l’on doit le Programme de revenu de base instauré en 2018 pour les personnes ayant des «contraintes sévères à l’emploi». Un tout petit pas en direction vers un revenu de base universel, mais un grand pas pour ceux qui en bénéficieront. (Le futur est important ici: l’implantation de ce programme s’étire sur plusieurs années; ce que n’ont pas manqué de déplorer ces mêmes personnes.)

Extraits de l’entrevue:

À lire en entier!

Philippe Van Parijs

Citations d’une récente entrevue de Philippe Van Parijs dans «korii.» (la verticale de Slate.fr).

Un revenu de base est un socle qu’il s’agit de glisser sous l’ensemble de la distribution des revenus. Même à long terme, il ne doit pas remplacer intégralement les allocations d’assurance sociale, par exemple les pensions de retraite et les indemnités de chômage involontaire, financées par les cotisations sociales.

Et même à long terme, il n’excluera pas non plus des compléments conditionnels d’assistance sociale, par exemple sous la forme d’aide aux personnes handicapées ou d’allocations loyer pour des personnes vivant seules.

Ce sont des idées centrales de Van Parijs , à la fois précises et nuancées.

Toute l’entrevue est à lire!