Les arts et le revenu de base

75 000 artistes se mobilisent

Aujourd’hui, des artistes, des auteur.trice.s, des technicien.ne.s et des interprètes demandent au Premier ministre Justin Trudeau de créer un revenu minimum garanti permanent.

Lettre publique
de communautés artistiques du Canada
en faveur d’un revenu minimum garanti


Les effets de la pandémie sur les vies humaines sont dévastateurs. Des millions de personnes sont toujours sans travail, des lieux de diffusion, toujours fermés, des moyens d’assurer la subsistance des travailleur.se.s, perdus.

« En tant que partenaires du secteur des arts et de la culture, nous vous demandons de donner aux Canadien-ne-s la chance de vivre, et non plus seulement de survivre. »

« Un Revenu Minimum Garanti serait développé sur la base des programmes existants incluant la PCU. Il offrirait une sécurité financière qui comblerait les besoins de base des individus et leur permettrait de participer pleinement à la société en vivant avec dignité, peu importe le
statut de leur emploi. »

Cette lettre publique, signée et endossée par plusieurs grandes organisations du secteur des arts et de la culture au Canada ainsi que par plusieurs artistes de renom, enjoint le gouvernement à faire preuve de créativité en adoptant un « un programme universel et inconditionnel de soutien au revenu garantissant un seuil de revenu minimum à toutes les personnes qui en ont besoin ».

Dans un contexte comme celui de la pandémie de la Covid-19, le Canada pourrait mieux affronter épreuves, maladies et ruptures avec un revenu garanti. « C’est ici et maintenant que le changement peut survenir », écrivent les co-auteur.trice.s de la lettre : Craig Berggold, Zainub Verjee et Clayton Windatt.

« Il est temps d’adopter un revenu garanti », proclament des acteurs de la communauté artistique de partout à travers le Canada, incluant le Gwaandak Theatre (Yukon), le Conseil québécois du théâtre (Québec), le South Asian Visual Arts Centre (Ontario), le Kehewin Native Dance Theatre (Alberta), les techniciens de la scène et du film de l’I.A.T.S.E., la Fédération canadienne des musiciens, les artistes visuels de CARFAC, la Fédération culturelle canadienne-française, la Canadian Actors’ Equity Association, la chanteuse d’opéra Adrianne Pieczonka, l’autrice Judy Rebick, le cinématographe John Greyson, et bien d’autres…

En anglais, on peut trouver le dossier complet de ce projet ici.

Rapport du DPB

À la demande d’un sénateur, le Bureau du Directeur parlementaire du budget a rédigé un rapport intitulé Estimation des coûts reliés à un revenu de base garanti pendant la pandémie de Covid 19. Il s’imposait qu’une analyse de ce rapport soit faite du point de vue du mouvement qui fait la promotion du revenu de base garanti.

Sid Frankel
Member, Coalition Canada: basic income/revenu de base
Associate Professor, Faculty of Social Work
University of Manitoba

Ce spécialiste du sujet nous propose l’analyse de la Coalition Canada: basic income / revenu de base, dont il est membre.

Les retombées économiques de la pandémie de coronavirus ont montré très clairement que les programmes de sécurité du revenu du Canada ne forment pas un système bien coordonné, mais un patchwork avec de nombreuses lacunes entre les patchs. Le gouvernement fédéral et de nombreux gouvernements provinciaux ont rapidement mis au point des correctifs supplémentaires pour combler les lacunes que la pandémie a révélées. Malheureusement, certains groupes sont restés à l’écart et les nouveaux patchs ont créé des problèmes par leur interaction avec les patchs existants.

Une occasion à saisir

Cela a ouvert une fenêtre d’opportunité pour envisager un revenu de base universel comme moyen d’accroître l’exhaustivité et l’efficacité des programmes de sécurité du revenu au Canada.

Dans ce contexte, le directeur parlementaire du budget (DPB) a publié (à la demande d’un parlementaire) un rapport le 7 juillet 2020 sur le coût d’un revenu de base pandémique. L’évaluation des coûts est basée sur le projet pilote de revenu de base de l’Ontario, récemment abandonné, qui offrait aux bénéficiaires des prestations allant jusqu’à 75 % de la mesure de faible revenu, après impôt, avec un montant supplémentaire de 6 000 $ pour les personnes handicapées.

Le PBO a estimé que le coût brut (avant toute épargne) d’un revenu de base garanti de ce type se situerait entre 45,8 milliards et 96,4 milliards de dollars, selon le taux d’imposition des revenus du travail. Il a évalué des taux d’imposition de 50% (l’estimation la plus basse), 25% et 15%, l’estimation la plus élevée. Les deux taux d’imposition les plus bas sont au-delà de ce que préconisent les partisans du revenu de base, et peuvent être utilisés comme preuve d’un coût ingérable pour ceux qui s’opposent à un revenu de base.

Le DPB a envisagé un nombre limité d’économies par l’élimination des programmes d’impôts et de transferts bénéficiant aux Canadiens à faible revenu et vulnérables, probablement en partant du principe qu’ils ne seront plus nécessaires. Ces économies s’élèvent à 15,1 milliards de dollars, ce qui ramène le coût de l’option de l’impôt de 50 % sur le revenu gagné à 30,7 milliards de dollars, soit moins de 8,7 % des dépenses du gouvernement fédéral en 2019. Cependant, le coût du DPB est surestimé.

Un coût surestimé

Premièrement, il est basé sur l’inscription probable au cours des six derniers mois de l’année fiscale 2020-2021. Il est très probable que le nombre de bénéficiaires au moment où l’économie commence tout juste à se redresser soit bien supérieur au nombre moyen de bénéficiaires à long terme, voire à moyen terme.

Deuxièmement, elle ne tient pas compte des économies réalisées grâce à la suppression de certains crédits d’impôt non remboursables coûteux, qui profitent davantage aux personnes à revenu élevé qu’à celles à faible revenu. Par exemple, la suppression de l’exemption personnelle permettrait d’économiser au moins 36 978,7 millions de dollars et la suppression du crédit d’impôt pour âge et pension permettrait d’économiser 4 899,8 millions de dollars (données de 2015).

Troisièmement, il ne comprend pas les économies réalisées grâce à l’amélioration de l’état de santé ou des résultats scolaires. Les recherches sur le site de saturation de Dauphin de l’expérience Mincome des années 1970 ont révélé une diminution de 8,5 % des hospitalisations et une augmentation significative du nombre d’étudiants du secondaire qui continue leurs études. Les économies réalisées dans le domaine des soins de santé sont évidentes et l’amélioration des résultats scolaires améliorera la carrière future des étudiants et, par conséquent, augmentera les recettes fiscales du gouvernement et réduira les coûts de la sécurité des revenus.

Un revenu insuffisant

Cependant, l’estimation des coûts du DPB reflète-t-elle le type de revenu de base que nous souhaitons ? Le seuil de pauvreté de la mesure de faible revenu (la moitié du revenu médian pour une taille de famille donnée) est un objectif approprié pour une prestation maximale de revenu de base car il est fortement lié à l’état de santé physique et mentale et aux résultats du développement de l’enfant. Le modèle chiffré par le DPB ne prévoyait une prestation que de 75 % de la mesure de faible revenu. Même si cela prend du temps, notre objectif ne devrait-il pas être d’éliminer complètement la pauvreté au Canada ?

En outre, le calcul des coûts du DPB suppose que le complément de 6 000 $ couvrira les nombreux coûts exceptionnels liés au handicap, car il élimine la plupart des crédits d’impôt destinés aux personnes handicapées. Cette hypothèse peut être bonne pour certains, mais invalide pour d’autres. Par conséquent, les bénéficiaires potentiels du revenu de base devraient avoir la possibilité de continuer à bénéficier des programmes existants s’ils s’en sortent mieux.

On oublie les bénéfices

Enfin, nous ne devrions pas nous contenter d’études de coûts, mais exiger des études de coûts-avantages ou de rentabilité qui mettent l’accent sur la relation entre la valeur des résultats produits par un revenu de base et le coût de leur production. Les effets produits par un revenu de base ont une valeur réelle au niveau individuel (amélioration du bien-être), sociétal (solidarité accrue) et macroéconomique (stabilisation et renforcement de la demande globale alimentant la croissance). Nous ne devons pas nous fixer sur le coût en ignorant les bénéfices.

Traduit avec www.DeepL.com/Translator (version gratuite)

Un revenu de base au Québec (suite)

Le revenu minimum garanti, un bon outil pour réévaluer mon rapport au travail et à l’argent

Par Martin Zibeau, bénéficiaire d’un revenu de base en Gaspésie dans le cadre du projet de l’ARBRE

Si vous voulez écouter ce texte plutôt que le lire, c’est ici.

L’historien et auteur du très populaire livre Sapiens, Yuval Noah Harari, résume l’argent en ces quelques mots : L’argent est l’histoire la plus aboutie que l’humain ait jamais inventée et racontée, parce que c’est la seule histoire à laquelle tout le monde croit. Tout le monde ne croit pas en Dieu, tout le monde ne croit pas aux Droits Humains, tout le monde ne croit pas au nationalisme, mais tout le monde croit à l’argent et au billet vert.

Avec un ami en Gaspésie nous nous sommes amusés à malmener cette histoire, en coupant des billets de banque pour en faire, disions-nous, une monnaie alternative, le Demi. C’était notre histoire. Plusieurs personnes ont été intriguées par cette histoire. Mais surtout, à peu près aucune d’elles n’était indifférente au fait de prendre une paire de ciseaux et de couper un vingt dollars en deux. La plupart des réactions étaient viscérales. Les gens tremblaient, suaient ou riaient nerveusement. Nous avons vite réalisé à quel point notre rapport à l’argent, cette entité fictive, n’était pas clair.

Lorsque mon premier enfant est né il y a douze ans, j’avais 40 ans. J’avais été pauvre la grande majorité de ma vie avec des revenus oscillants entre 6 000 et 20 000$ par année. Dans la trentaine, expatrié dans le Grand-Nord canadien, j’ai aussi pu expérimenter l’opulence financière. Lorsque j’ai quitté mon dernier emploi payant à 40 ans, j’ai annoncé avec une pointe d’humour à mon patron du temps que je prenais ma retraite.

Douze ans plus tard, maintenant bénéficiaire d’un revenu minimum garanti depuis six mois, je reçois chaque semaine, sans aucune obligation, assez d’argent pour payer tout ce dont j’ai besoin pour vivre.

Ça vous organise une machine à penser ça!

Lorsque j’ai pris ma retraite humoristique à 40 ans, ma conjointe de l’époque et moi avions pu mettre de côté environ 30 000$. Et nous n’avions aucune dette. Une petite roulotte pour nous abriter, puis éventuellement une yourte sur le terrain d’ami-es. 

Pendant trois ans nous avons vécu sur ce 30 000$, apprenant à connaître notre nouvelle communauté gaspésienne et passant tout notre temps avec nos deux jeunes enfants.

Avec si peu d’argent, nous avons vite appris la valeur de ce dont nous avions vraiment besoin pour vivre. Puis au fil du temps, l’argent, cette fiction dont parle Yuval Noah Harari, fut de plus en plus relégué à son rang d’outil économique au même titre que d’autres outils comme les systèmes d’échange local ou la poignée de main.

Avec la réalisation de ce qu’est vraiment l’argent et de son utilisation minimale pendant trois ans est venue une remise en question en profondeur de mon rapport au travail. Particulièrement au salariat. 

Si j’avais besoin d’aussi peu que 10 000$ pour bien vivre par année, mais que la très grande majorité des emplois étaient des emplois à plus de 30h par semaine souvent non négociable, quelle était ma place dans la société ?

Après neuf ans de guerre psychologique avec moi-même, à résister à l’emploi à temps plein et plus particulièrement au travail-pour-faire-de-l’argent, me voilà maintenant pour toute une année, d’une certaine façon, indépendant de fortune.

Si pendant neuf ans je me suis entraîné à apprivoiser le salariat (ou plus exactement à résister au salariat) et à traiter l’argent pour l’entité fictive qu’il est, aujourd’hui mon nouveau combat est d’essayer de vivre avec l’image qu’on se fait d’une personne recevant de l’argent sans rien faire.

D’abord, est-ce possible de ne rien faire

La réponse est bien évidemment, non.

Alors, qu’est-ce que je fais de mon temps? 

Suis-je heureux? Suis-je utile? Suis-je rentable pour la société?

Explorons la question mathématiquement.

Pour l’année 2020, j’aurais coûté à l’état environ 26 000$. Dans la réalité, puisque le projet-pilote auquel je participe n’est pas subventionné par l’état, vous pouvez dormir tranquille, vous n’avez pas eu à payer personnellement pour cette expérimentation. Ce sera peut-être plus facile de cette façon d’en apprécier les résultats. 

Pour vivre en Gaspésie dans une petite maison avec une petite voiture, être connecté à internet et nous nourrir mes enfants et moi, ça me coûte chaque année 21 200$. Le projet pilote m’apporte 19 500$ plus les transferts gouvernementaux d’environ 7 500$. Il me reste donc environ 4 000$ pour les imprévus comme la dentiste, les réparations à la voiture et à la maison, etc. On s’entend que je ne roule pas sur l’or et que ce n’est pas avec ces montants que je vais me coller de l’argent de côté pour faire le tour du monde.

C’est un revenu de base, m’assurant que je puisse vivre au minimum, dignement.

Et ça marche.

Suis-je utile ou rentable pour la société?

Monétairement parlant, 100% de l’argent qui arrive d’un côté ressort immédiatement de l’autre. En d’autres mots, je fais rouler l’économie. Toutefois, il serait légitime de se demander de quelle économie il s’agit.

Le gros de mon argent retourne à la caisse populaire Desjardins sous forme d’hypothèque et d’intérêts. Hydro en reçoit une bonne partie ainsi que la municipalité en taxes foncières.

Dans un monde idéal, tout cet argent retournerait dans des entités locales, ou à tout le moins, n’ayant pas comme principal objectif l’enrichissement de quelques actionnaires ou PDG au détriment de la collectivité … mais ça c’est un autre débat.

Donc, en gros, tout cet argent que je reçois gratuitement retourne immédiatement dans l’économie pour nourrir d’autres bouches, du moins on l’espère. Mon petit budget nourriture va autant que possible vers les entreprises locales. C’est déjà ça.

Au quotidien, ce que ça veut dire concrètement, c’est que je peux choisir de quelle façon je contribue à la société. Dans un premier temps, ça me permet de prendre le temps d’être avec mes enfants qui ont maintenant 9 et 12 ans. Leur mère habitant à l’autre extrémité du continent, nous faisons une garde partagée aux quatre mois. J’ai dû inventer une forme d’éducation hybride école-maison, ce qui demande un certain temps. Le revenu de base me donne ce temps. 

J’ai aussi le temps de ne pas être à la course. Ça a l’air un peu bête dit comme ça, mais ayant déjà connu la vie avec pas d’temps pour rien faire, il y a là une forme de richesse que souvent seul-es les retraité-es plus âgé-es apprécient, en ajoutant souvent tristement … si j’avais su!

Ne pas être à la course, ça veut dire utiliser beaucoup moins la voiture. Pouvoir marcher ou faire du vélo pour aller faire mes courses. Courses auxquelles j’ai eu le temps de réfléchir ce qui évite les achats compulsifs. Je jardine. Loin d’être autosuffisant en nourriture, le temps que je mets à jardiner me semble un bon investissement dans le futur lorsqu’on prend le temps d’y réfléchir un peu … un temps que j’ai.

Peut-être me demanderez-vous ce que j’apporte concrètement à la société.

Outre avoir le luxe de l’oisiveté que défendait le philosophe Bertrand Russel(1)(2) comme étant la possibilité de vivre une vie heureuse, nous permettant d’être ainsi plus enclins à la bienveillance qu’à la persécution et la suspicion, recevoir un revenu de base me permet d’être disponible dans ma communauté. Aider des ami-es, mais aussi des inconnu-es et entreprises du coin. Et finalement, mais non le moindre bénéfice, créer. Créer de nouveaux projets concrets ou en améliorer d’autres, mais aussi créer du bien-être et du bonheur.

Je n’ai pas assez d’argent pour en gaspiller. Celui que j’ai doit être utilisé intelligemment, ce que le temps libre dont je dispose me permet de faire. Suis-je un plus ou un moins pour la société? Il faudrait le demander aux gens de ma communauté. En tout cas de mon côté, je me sens libre et heureux. Et j’ai le sentiment qu’à la fin de ma vie, si elle continue comme ça, je pourrai fermer les yeux sans le triste constat que nous partagent trop souvent nos aîné-es juste avant de partir avec cette impression de j’aurais-donc-dû.

  1. http://classiques.uqac.ca/contemporains/russell_bertrand/Eloge_oisivete/Eloge_oisivete_texte.html
  2.  https://www.youtube.com/watch?v=mhn2EmMzCsE

Le revenu minimum garanti, un bon outil pour réévaluer mon rapport au travail et à l’argent

Par Martin Zibeau, bénéficiaire d’un revenu de base en Gaspésie dans le cadre du projet de l’ARBRE

L’historien et auteur du très populaire livre Sapiens, Yuval Noah Harari, résume l’argent en ces quelques mots : L’argent est l’histoire la plus aboutie que l’humain ait jamais inventée et racontée, parce que c’est la seule histoire à laquelle tout le monde croit. Tout le monde ne croit pas en Dieu, tout le monde ne croit pas aux Droits Humains, tout le monde ne croit pas au nationalisme, mais tout le monde croit à l’argent et au billet vert.

Avec un ami en Gaspésie nous nous sommes amusés à malmener cette histoire, en coupant des billets de banque pour en faire, disions-nous, une monnaie alternative, le Demi. C’était notre histoire. Plusieurs personnes ont été intriguées par cette histoire. Mais surtout, à peu près aucune d’elles n’était indifférente au fait de prendre une paire de ciseaux et de couper un vingt dollars en deux. La plupart des réactions étaient viscérales. Les gens tremblaient, suaient ou riaient nerveusement. Nous avons vite réalisé à quel point notre rapport à l’argent, cette entité fictive, n’était pas clair.

Lorsque mon premier enfant est né il y a douze ans, j’avais 40 ans. J’avais été pauvre la grande majorité de ma vie avec des revenus oscillants entre 6 000 et 20 000$ par année. Dans la trentaine, expatrié dans le Grand-Nord canadien, j’ai aussi pu expérimenter l’opulence financière. Lorsque j’ai quitté mon dernier emploi payant à 40 ans, j’ai annoncé avec une pointe d’humour à mon patron du temps que je prenais ma retraite.

Douze ans plus tard, maintenant bénéficiaire d’un revenu minimum garanti depuis six mois, je reçois chaque semaine, sans aucune obligation, assez d’argent pour payer tout ce dont j’ai besoin pour vivre.

Ça vous organise une machine à penser ça!

Lorsque j’ai pris ma retraite humoristique à 40 ans, ma conjointe de l’époque et moi avions pu mettre de côté environ 30 000$. Et nous n’avions aucune dette. Une petite roulotte pour nous abriter, puis éventuellement une yourte sur le terrain d’ami-es. 

Pendant trois ans nous avons vécu sur ce 30 000$, apprenant à connaître notre nouvelle communauté gaspésienne et passant tout notre temps avec nos deux jeunes enfants.

Avec si peu d’argent, nous avons vite appris la valeur de ce dont nous avions vraiment besoin pour vivre. Puis au fil du temps, l’argent, cette fiction dont parle Yuval Noah Harari, fut de plus en plus relégué à son rang d’outil économique au même titre que d’autres outils comme les systèmes d’échange local ou la poignée de main.

Avec la réalisation de ce qu’est vraiment l’argent et de son utilisation minimale pendant trois ans est venue une remise en question en profondeur de mon rapport au travail. Particulièrement au salariat. 

Si j’avais besoin d’aussi peu que 10 000$ pour bien vivre par année, mais que la très grande majorité des emplois étaient des emplois à plus de 30h par semaine souvent non négociable, quelle était ma place dans la société ?

Après neuf ans de guerre psychologique avec moi-même, à résister à l’emploi à temps plein et plus particulièrement au travail-pour-faire-de-l’argent, me voilà maintenant pour toute une année, d’une certaine façon, indépendant de fortune.

Si pendant neuf ans je me suis entraîné à apprivoiser le salariat (ou plus exactement à résister au salariat) et à traiter l’argent pour l’entité fictive qu’il est, aujourd’hui mon nouveau combat est d’essayer de vivre avec l’image qu’on se fait d’une personne recevant de l’argent sans rien faire.

D’abord, est-ce possible de ne rien faire

La réponse est bien évidemment, non.

Alors, qu’est-ce que je fais de mon temps? 

Suis-je heureux? Suis-je utile? Suis-je rentable pour la société?

Explorons la question mathématiquement.

Pour l’année 2020, j’aurais coûté à l’état environ 26 000$. Dans la réalité, puisque le projet-pilote auquel je participe n’est pas subventionné par l’état, vous pouvez dormir tranquille, vous n’avez pas eu à payer personnellement pour cette expérimentation. Ce sera peut-être plus facile de cette façon d’en apprécier les résultats. 

Pour vivre en Gaspésie dans une petite maison avec une petite voiture, être connecté à internet et nous nourrir mes enfants et moi, ça me coûte chaque année 21 200$. Le projet pilote m’apporte 19 500$ plus les transferts gouvernementaux d’environ 7 500$. Il me reste donc environ 4 000$ pour les imprévus comme la dentiste, les réparations à la voiture et à la maison, etc. On s’entend que je ne roule pas sur l’or et que ce n’est pas avec ces montants que je vais me coller de l’argent de côté pour faire le tour du monde.

C’est un revenu de base, m’assurant que je puisse vivre au minimum, dignement.

Et ça marche.

Suis-je utile ou rentable pour la société?

Monétairement parlant, 100% de l’argent qui arrive d’un côté ressort immédiatement de l’autre. En d’autres mots, je fais rouler l’économie. Toutefois, il serait légitime de se demander de quelle économie il s’agit.

Le gros de cet argent retourne à la caisse populaire Desjardins sous forme d’hypothèque et d’intérêts. Hydro en reçoit une bonne partie ainsi que la municipalité en taxes foncières.

Dans un monde idéal, tout cet argent retournerait dans des entités locales, ou à tout le moins, n’ayant pas comme principal objectif l’enrichissement de quelques actionnaires ou PDG au détriment de la collectivité … mais ça c’est un autre débat.

Donc, en gros, tout cet argent que je reçois gratuitement retourne immédiatement dans l’économie pour nourrir d’autres bouches, du moins on l’espère. Mon petit budget nourriture va autant que possible vers les entreprises locales. C’est déjà ça.

Au quotidien, ce que ça veut dire concrètement, c’est que je peux choisir de quelle façon je contribue à la société. Dans un premier temps, ça me permet de prendre le temps d’être avec mes enfants qui ont maintenant 9 et 12 ans. Leur mère habitant à l’autre extrémité du continent, nous faisons une garde partagée aux quatre mois. J’ai dû inventer une forme d’éducation hybride école-maison, ce qui demande un certain temps. Le revenu de base me donne ce temps. 

J’ai aussi le temps de ne pas être à la course. Ça a l’air un peu bête dit comme ça, mais ayant déjà connu la vie avec pas d’temps pour rien faire, il y a là une forme de richesse que souvent seul-es les retraité-es plus âgé-es apprécient, en ajoutant souvent tristement … si j’avais su!

Ne pas être à la course, ça veut dire utiliser beaucoup moins la voiture. Pouvoir marcher ou faire du vélo pour aller faire mes courses. Courses auxquelles j’ai eu le temps de réfléchir ce qui évite les achats compulsifs. Je jardine. Loin d’être autosuffisant en nourriture, le temps que je mets à jardiner me semble un bon investissement dans le futur lorsqu’on prend le temps d’y réfléchir un peu … un temps que j’ai.

Peut-être me demanderez-vous ce que j’apporte concrètement à la société.

Outre avoir le luxe de l’oisiveté que défendait le philosophe Bertrand Russel(1)(2) comme étant la possibilité de vivre une vie heureuse, nous permettant d’être ainsi plus enclins à la bienveillance qu’à la persécution et la suspicion, recevoir un revenu de base me permet d’être disponible dans ma communauté. Aider des ami-es, mais aussi des inconnu-es et entreprises du coin. Et finalement, mais non le moindre bénéfice, créer. Créer de nouveaux projets concrets ou en améliorer d’autres, mais aussi créer du bien-être et du bonheur.

Je n’ai pas assez d’argent pour en gaspiller. Celui que j’ai doit être utilisé intelligemment, ce que le temps libre dont je dispose me permet de faire. Suis-je un plus ou un moins pour la société? Il faudrait le demander aux gens de ma communauté. En tout cas de mon côté, je me sens libre et heureux. Et j’ai le sentiment qu’à la fin de ma vie, si elle continue comme ça, je pourrai fermer les yeux sans le triste constat que nous partagent trop souvent nos aîné-es juste avant de partir avec cette impression de j’aurais-donc-dû.

  1. http://classiques.uqac.ca/contemporains/russell_bertrand/Eloge_oisivete/Eloge_oisivete_texte.html
  2.  https://www.youtube.com/watch?v=mhn2EmMzCsE