Un texte de Michael Laitman

Michael Laitman

Merci à Josia Nakash qui nous a fait connaître ce texte


Note sur l’auteur. Michael Laitman est Professeur en Ontologie, PhD en Philosophie et Kabbale, et MSc en Biocybernétique Médicale. Il était le disciple le plus notoire du kabbaliste, Rav Baruch Ashlag (le RABASH). Prof. Laitman a écrit plus de 40 livres, traduits dans une douzaine de langues. ——————————————————————- L’avenir de l’emploi : travailler à devenir humain Malheureusement, 33 000 employés de Toys“R”Us sont sur le point de rentrer chez eux. Ils emballeront la photo de vacances familiale accrochée au mur de leur bureau dans une boîte en carton, prendront un jouet ou deux comme souvenirs et rentreront chez eux à contrecœur. Ils se joindront à la liste croissante des centaines de milliers de personnes qui perdent leur emploi, non pas parce qu’ils doivent accroître leur rendement ou perfectionner leur éthique de travail, mais simplement parce qu’ils ne sont plus indispensables. De plus en plus de produits sont fabriqués par des robots, ce qui est plus rentable pour les entreprises, mais aussi moins coûteux pour les consommateurs, qui peuvent commander en ligne d’un simple mouvement du doigt. Toys“R”Us n’est qu’un exemple parmi d’autres du tsunami technologique virtuel qui s’abat sur le monde des affaires. Il apparaît sous la forme de sociétés géantes comme Amazon, Alibaba, Google et leurs partenaires commerciaux, piétinant tous les domaines du commerce possible : commerce de détail, banque, habillement, alimentation, publicité et plus encore. Et cette vague ne s’arrête pas au secteur privé, elle emporte aussi le secteur public. Par exemple, Warren Buffett, Jeff Bezos et Jamie Dimon sont déjà en coentreprise pour réinventer les soins de santé. Bien qu’elle puisse sembler une révolution silencieuse, elle promet un tremblement de terre socio-économique comme jamais vu auparavant. Le virtuel technologique du futur prend peu à peu le dessus sur les fondements mêmes du monde économique. Il est devenu normal de parler de questions comme le remplacement du travail humain par des robots, mais nous n’avons pas encore pris conscience de l’ampleur de ce changement. Beaucoup de politiciens, d’économistes et d’analystes voient cela comme une autre révolution industrielle qui va de pair avec les douleurs de l’enfantement, donnant naissance à toute une série de nouvelles professions, et prédisent qu’il en résultera une nouvelle économie en pleine expansion. Ce point de vue est certes encourageant. Mais il est basé sur une compréhension limitée des nouvelles technologies qui se développent à une vitesse exponentielle. Aujourd’hui même, nous pourrions automatiser 45 % des tâches pour lesquelles les gens sont payés aux États-Unis avec des technologies existantes. Ce ne sont pas des machines sophistiquées qui remplacent nos mains et nos pieds au travail. Il s’agit de l’intelligence artificielle en voie de développement qui remplacera progressivement l’intelligence humaine. L’intelligence artificielle pensera de manière créative, produira, analysera, développera, programmera et travaillera beaucoup plus efficacement que l’employé le plus talentueux, tout en étant beaucoup moins cher et facile à utiliser. L’intelligence artificielle peut apprendre et se perfectionner beaucoup plus rapidement que la capacité d’une personne à se recycler, et finira par remplacer le travail humain partout : scientifiques, médecins, programmeurs, concepteurs, experts financiers, gestionnaires des ressources humaines. Seule une fraction de la main-d’œuvre sera nécessaire pour faire fonctionner et étalonner les diverses machines intelligentes et les logiciels avancés. Révolutionnons la société – Sans les fourches Si nous pouvons sonder l’avenir de la technologie, nous pouvons tout de suite voir la crise sociale imminente. Les masses entreront dans le chômage pour une durée illimitée et l’économie moderne n’aura pas de réponses à leur proposer. Les modèles économiques actuels peuvent difficilement faire face à un taux de chômage de 15 %. Que se passera-t-il lorsque le taux de chômage atteindra 30 %, 40 % et 50 % ? Cela n’est pas comptabilisé dans l’économie actuelle. Si nous nous contentons de penser positivement, en espérant que cela se traduira par magie dans une nouvelle économie en plein essor, nous courons le risque d’une grave crise du chômage. Et lorsque des masses de gens n’ont aucun espoir de subvenir à leurs besoins de base ils ne restent pas tranquillement assis chez eux. Sans espoir, les gens peuvent se tourner vers la violence, l’extrémisme et le soutien de dirigeants radicaux qui offriront la sécurité économique pour accéder au pouvoir, comme cela s’est produit dans le passé. Par contre, si nous planifions à l’avance, nous pouvons révolutionner la société – sans révolution. Plus vite nous reconnaîtrons l’inévitable refonte de notre infrastructure socio-économique, c’est-à-dire que les emplois n’existeront plus dans le même sens qu’auparavant, plus nous serons confrontés à la nécessité de subvenir aux besoins fondamentaux de tous les membres de la société. Que ce soit par le biais d’une forme de Revenu de Base Universel ou de tout autre mécanisme technique, nous devons comprendre qu’un changement des valeurs sociales est au cœur du problème : les dirigeants de chaque pays doivent reconnaître que la satisfaction des besoins fondamentaux de chaque citoyen – nourriture, logement, vêtements, éducation et santé – est leur priorité absolue. Mais que redonneront les gens à la société ? Si quelques heures de travail suffisent à l’entretien des machines, que feront les êtres humains ? Ils seront occupés à « être humains », c’est-à-dire à se développer eux-mêmes, leurs familles, leurs sociétés et tout ce qui fait de nous des êtres humains plutôt que des robots. Le véritable moteur de la technologie, c’est l’évolution humaine La révolution technologique n’est pas accidentelle, et elle n’est pas technologique. C’est une révolution évolutionnaire. Son but est l’évolution de la société humaine. Elle nous aidera à sortir de la course sans fin, alimentée par une obsession matérielle qui ne nous rend pas vraiment heureux, une course-poursuite 24 heures sur 24 qui a créé une société de petits rouages dans des entreprises géantes, accumulant le stress et la corrosion, tout en perdant le contact avec les autres et avec eux-mêmes. Au lieu d’investir notre énergie à travailler comme des machines, nous nous engagerons dans le seul travail qui rende les humains différents des machines. Dans une société libérée de la poursuite cyclique de l’acquisition matérielle, nous investirons une grande partie de notre temps au quotidien : à étudier, à faire de l’exercice et à cultiver le sens de la connexion humaine naturelle qui nous lie les uns aux autres. Lorsque des masses de gens le feront régulièrement, comme nouveau travail, une nouvelle société émergera. Son produit sera l’énergie sociale positive nécessaire à la préservation de l’équilibre sociétal. Ce sera une société dont le travail quotidien des membres consiste à maintenir le sens de l’unité et de la solidarité qui prévient la violence et l’extrémisme, permettant aux humains de commencer à vivre ensemble dans la paix. Ce travail peut être fait avec une créativité illimitée, ce qui permet aux gens de mettre en pratique leur passion et leur désir, à condition de contribuer à un climat social convivial et chaleureux. Mais il faut commencer par la formation et l’éducation de base sur la science des liens humains, apprendre comment des liens sociaux positifs nous rendent plus sains, plus heureux et plus efficaces dans tout ce que nous entreprenons. Certes, tout ceci semble étranger dans un monde où nous avons été entraînés par des publicitaires à pourchasser des choses dont nous n’avons pas besoin, pour impressionner des gens avec lesquels nous ne pouvons pas nous relier. Mais lorsque les besoins matériels sont pris en charge, la nature humaine exige une forme de satisfaction plus profonde et plus significative. Ce n’est pas un hasard si les études sur le bonheur révèlent à maintes reprises que les relations sociales saines sont le facteur déterminant de l’épanouissement de l’être humain. Notre développement naturel et social nous pousse à utiliser notre connectivité humaine, à la diffuser par un travail constant sur nos relations et à évoluer vers une nouvelle réalité sociale. Plutôt que de rivaliser avec des robots pour un emploi de la vieille école, faisons de notre travail la seule fonction qu’aucun robot ne remplacera jamais, et trouvons le genre de bonheur que l’argent n’achètera jamais.

Conférence de Philippe Van Parijs à Concordia

Robert Daoust nous a envoyé, récemment, à quelques militants de Revenu de base Québec, du Mouvement français pour un revenu de base et d’Algosphère, cet excellent compte-rendu d’une conférence de Philippe Van Parijs à l’Université Concordia, une conférence que nous avons manquée, malheureusement. Mais, heureusement, il accepté que nous le citions entièrement.
Bonjour Luc, Christian, Sylvie, Jean-Christophe,
Philippe Van Parijs était de passage au Québec hier pour donner une conférence à l’université Concordia. Je croyais que beaucoup de gens intéressés par le revenu universel seraient là mais il n’y avait plutôt qu’une quarantaine de personnes étudiant en éthique. L’annonce a dû être plus limitée que je pensais.
Il a d’abord rappelé trois événements qui ont amené beaucoup de visibilité récemment à l’idée du revenu universel : le référendum en Suisse (suite à un mouvement commencé en Allemagne lors des élections de 2006), le projet-pilote en Finlande et la campagne française pour la présidence. Il se félicite du résultat en Suisse, trouvant qu’au pays de Calvin près de 25% en faveur du revenu universel est un bon score. Il n’attend pas grand chose de la Finlande parce que le projet est mal ficelé, mais est heureux de la visibilité. En France, ce fut une occasion inespérée de faire avancer la cause, malgré que Hamon ait été mal conseillé, d’après lui, par le couple Piketty et Cagé qui ont voulu faire passer une formule d’impôt négatif pour un revenu universel.
Il a ensuite raconté comment lui était venu la passion pour l’idée du revenu universel. Il était, vers 1982, dans un panel entre deux économistes. Le marxiste a parlé élogieusement du revenu universel en déplorant que la société capitaliste ne pourrait jamais faire cela. Le capitaliste a répondu qu’au contraire les grandes idées socialistes comme la sécurité sociale ou le welfare state avaient été réalisées par les sociétés capitalistes et qu’il pouvait parfaitement en aller de même du revenu universel, mais que cela ne se ferait jamais parce que le problème en était plutôt un d’éthique liée au travail.
Philippe Van Parijs a trouvé dans la litérature beaucoup d’arguments en faveur du revenu universel. Il a été grandement déçu cependant quand dans une conférence John Rawls a déclaré que les surfers de Malibu ne devaient pas être éligibles à une telle allocation. À la recherche d’un contre-argument, il s’est alors tourné vers les surplus accumulés dans l’économie depuis l’ère capitaliste, surtout avec l’augmentation de la productivité du travail, pour en arriver à dire que cet “héritage” commun devait être distribué également (ou en suivant le principe du maximin) entre tous les individus.
Plus tard, Van Parijs (de l’Université catholique de Louvain) a exposé un autre argument tiré du deuxième épître de Paul aux Thessaloniciens :
1 Au reste, frères, priez pour nous, afin que la Parole du Seigneur poursuive sa course et soit glorifiée, comme elle l’est aussi parmi vous ; 2 et que nous soyons délivrés des hommes déréglés et méchants ; car tous n’ont pas la foi. 3 Mais le Seigneur est fidèle, qui vous affermira et vous préservera du mal. 4 Et nous avons cette confiance en vous dans le Seigneur, que vous faites et que vous ferez les choses que nous vous recommandons. 5 Mais que le Seigneur dirige vos cœurs vers l’amour de Dieu et vers la patience de Christ ! 6 Or, nous vous recommandons, frères, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, de vous retirer d’avec tout frère qui vit d’une manière déréglée, et non selon l’enseignement qu’ils ont reçu de nous. 7 Car vous savez vous-mêmes comment vous devez nous imiter, puisque nous ne nous sommes point conduits d’une manière déréglée parmi vous, 8 et que nous n’avons mangé gratuitement le pain de personne ; mais, dans la fatigue et dans la peine, travaillant nuit et jour, pour n’être à charge à aucun de vous. 9 Ce n’est pas que nous n’en eussions le droit ; mais c’est pour nous donner nous-mêmes en exemple à vous, afin que vous nous imitiez. 10 Et en effet, lorsque nous étions auprès de vous, nous vous déclarions ceci, que si quelqu’un ne veut pas travailler, il ne doit pas non plus manger. 11 Car nous apprenons qu’il y en a quelques-uns parmi vous qui vivent d’une manière déréglée, qui ne travaillent point, mais s’occupent de choses vaines. 12 Or nous recommandons à ceux qui sont tels, et nous les exhortons dans le Seigneur Jésus-Christ, que, travaillant paisiblement, ils mangent leur propre pain. 13 Mais pour vous, frères, ne vous découragez pas en faisant le bien. 14 Et si quelqu’un n’obéit point à ce que nous vous disons par cette lettre, signalez-le, et n’ayez point de communication avec lui, afin qu’il en ait de la confusion. 15 Toutefois ne le regardez pas comme un ennemi, mais avertissez-le comme un frère. 16 Or, que lui-même, le Seigneur de la paix, vous donne la paix en tout temps, de toute manière ! Le Seigneur soit avec vous tous ! 17 La salutation est de ma propre main, à moi Paul, ce qui est un signe en chaque lettre ; j’écris ainsi. 18 La grâce de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous !
En substance, semble-t-il, Paul dit que si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus, et haro donc sur les surfers de Malibu ! Mais, en lisant le contexte, il faut comprendre, d’après Van Parijs, qu’il y a une différence entre le devoir légal et le devoir moral de travailler : Paul dit qu’il faut travailler pour donner l’exemple de la vertu, et non pas qu’est inexistant le droit de ne pas travailler et d’être quand même nourri — dont lui-même pourrait se réclamer alors qu’il préfère travailler manuellement pour donner l’exemple.
Cela me semble personnellement un argument de Jésuite, mais bon, si cela peut convaincre les moralistes… Qu’il y ait un devoir moral de travailler, j’en conviens, mais s’il faut lier la morale au droit de manger, nous sommes tous morts à brève échéance ! C’est plutôt là que je vois le contre-argument cherché : si la loi du groupe n’assure pas la subsistance de chacun, le cadre qui oriente nos actions c’est la lutte contre la souffrance, de chacun contre tous, plutôt que l’allègement de la souffrance, de tous pour chacun.
Suite à la conférence, j’ai demandé à Philippe Van Parijs s’il avait entendu parler de la proposition de Guy Caron, leader parlementaire du NPD à Ottawa, pour une forme de revenu universel au Canada. Non. Je m’étonne de n’avoir pu trouver encore aucune analyse critique de cette proposition : avez-vous des nouvelles à ce sujet ?
J’ai évoqué la Lettre ouverte à l’Organisation des Nations unies en racontant un peu comment était apparue au Forum social mondial l’idée d’un revenu universel mondial, en commençant par les réfugiés que le projet du HCR devrait couvrir pour 2020, et comment depuis nous étions en relation avec le BIEN, les Brésiliens, le MFRB… Quand j’ai mentionné l’abolition de l’héritage, Van Parijs s’est dit catégoriquement contre une telle idée, en particulier parce qu’il faudrait alors interdire aussi la donation entre vifs. Nous avons échangé un peu sur cela, mais nous ne pouvions guère aller bien loin dans les circonstances. La conversation a pris fin sur une réitération de son opposition à la fin de l’héritage.
La grande affaire à propos du revenu universel semble celle de l’éthique liée au travail. J’ai l’impression que la plupart des gens dans notre culture sont pris au piège d’un égo qui doit entretenir son auto-construction in-dépendante, sous peine de manquer de la validité requise devant autrui.
L’important, me semble-t-il, alors que les changements à venir sont encore nombreux avant que nous soyons enfin sortis du pétrin, est de marcher dans une bonne direction, orientés selon un cadre collectif approprié.
Amitiés,

Citations de François Blais

tirées de son livre Un revenu garanti pour tous, Boréal, 2001

Sous l’appellation allocation universelle, quand il était professeur à l’Université Laval, François Blais a pris fermement position en faveur du revenu de base. Son livre est l’un des meilleurs qui aient été publiés en français sur le sujet. Fermement fondé sur une recherche universitaire approfondie, il est pourtant écrit dans une langue simple facile à comprendre, mais qui n’ignore pas les complexités inhérentes au revenu de base. Les extraits que nous citons ici aident à comprendre, les petits pas, les tout petits pas, que le «maintenant ministre» veut faire prendre au Québec dans son Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale 2017-2023 rendu publique le 10 décembre 2017.

En 2001, François Blais écrivait:

(Note: nous avons mis en caractères gras certains passages qui nous semblaient éclairer, d’une façon ou d’une autre, la démarche actuelle de F. Blais comme ministre. Faites vous-même vos choix, et faites-nous-les connaître.)

L’allocation universelle devrait normalement se situer au cœur d’une réforme générale de l’État-providence. (p. 14) Comme le débat sur l’allocation universelle ne semblait pas démarrer, comme certaines initiatives me faisaient craindre qu’il puisse être lancé de façon maladroite et incorrecte par des personnes aux intentions louables, certes, mais qui n’en maîtrisent encore que les pourtours, enfin, parce que je me sentais prêt à le lancer; j’ai pensé réaliser cet ouvrage qui porte certainement, pour le meilleur et pour le pire, quelques traces de ma formation et de mes préoccupations intellectuelles et sociales. (p. 14) L’allocation universelle n’a pas pour but d’améliorer le revenu net des plus riches mais bien d’augmenter les possibilités des plus pauvres en assurant à tous, il est vrai, une meilleure sécurité financière. Pour y parvenir, il faut, en contrepartie à son instauration, ajuster les taux d’imposition afin d’obtenir l’effet distributif recherché sur les revenus nets. C’est ce que nous faisons de facto pour le financement d’autres programmes universels ou publics comme la santé, l’éducation, la sécurité publique, l’entretien des routes, la protection des cours d’eau, le soutien aux bibliothèques municipales, etc. (p. 74-75) Le seul remède que nos gouvernants aient trouvé ces dernières années pour s’attaquer l’inertie de certains prestataires fut le recours à la coercition ou à «l’activation» mais cette stratégie ne donne pas les résultats escomptés simplement parce qu’elle repose sur une conception simpliste et tout aussi bureaucratique de l’activité humaine. (p. 76) Les programmes sélectifs se révèlent généralement stigmatisants et humiliants pour les ayants droit. On les force à se placer dans une situation de demandeurs, à faire état de leur dénuement et à tolérer qu’on puisse examiner en tout temps leur situation de vie personnelle. Les conditions d’admissibilité exigent qu’ils dilapident préalablement une partie de leur patrimoine, ce qui a pour effet d’aggraver davantage leur dépendance. Personne ne devrait avoir à se placer dans une telle situation pour recevoir de l’aide. Le ciblage des politiques sociales a aussi comme autre défaut condamnable de diviser la société en deux camps distincts les débiteurs et les contribuables. Inévitablement, cela nourrit l’idée, en particulier dans des périodes économiques difficiles, que les premiers vivent au crochet des seconds. Les allocataires se retrouvent alors pointés du doigt et soumis aux humeurs de l’opinion publique. Le rapport de force leur est entièrement défavorable quand vient le temps de revendiquer l’amélioration de leur sort. De tous les groupes de la société, ils représentent ceux dont l’influence et la capacité de faire valoir leurs droits sont les plus faibles. Les politiques de type workfare ne font rien pour les aider, au contraire. Elles les forcent à occuper un travail qu’ils ne désirent pas et dans des conditions d’employabilité inférieures à celles des autres travailleurs, ce qui les enferme définitivement dans des statuts de citoyens de second rang. Si la justice doit, comme je le crois, promouvoir l’autonomie, la dignité et la capacité de faire valoir ses droits et d’être reconnu à part entière dans la société, cela crée une forte présomption en faveur d’un programme universel plutôt que sélectif. Tout d’abord parce qu’on ne force plus aucun de nos concitoyens à se placer dans la situation de demandeur vis-à-vis des autres. Ensuite parce que l’aide est fournie de manière préventive afin d’éviter des conditions irréversibles de dégradation économique. (p. 94-95) Revenons maintenant à la question du droit au travail. Si l’on tient à tout prix à situer la question sur le plan des droits, alors il est vrai que l’on devrait toujours privilégier le droit au revenu par rapport au droit au travail. En fait, le droit au travail incarne un principe juridiquement vide (il n’a été appliqué dans aucune société). Les raisons en sont fort simples le travail rémunéré est une activité socialisée tributaire, pour sa définition et sa rémunération, de la demande d’autrui et c’est bien sûr à ce niveau que le bât blesse. Je peux vouloir devenir menuisier ou encore professeur de chant mais je n’arriverai à en vivre que si d’autres me rétribuent suffisamment pour mes services. Mon droit à un travail particulier est donc lié à celui des autres de pouvoir choisir leur propre travail ainsi que les biens ou services qu’ils désirent librement acheter Aucune forme d’organisation sociale n’est en mesure de répondre à des désirs aussi concurrents. (p. 97) En assurant à un chacun un revenu inconditionnel, on ne met pas fin aux inégalités engendrées par le travail rémunéré, mais on en diminue les conséquences les plus néfastes. En particulier, on atténue l’obligation pour les travailleurs possédant les facteurs de production les moins en demande de perdre leur dignité à vendre leur force de travail à tout prix pour survivre. Le travail pourra acquérir toutes ses lettres de noblesse comme activité libératrice ou d’insertion lorsque sa définition ne se retrouvera plus entièrement liée à la sphère marchande. C’est pourquoi, en toute logique, le «droit au travail» doit être entendu comme le «droit de ne pas travailler» et comme la possibilité de s’engager dans des activités qui ne sont pas exclusivement soumises aux règles du marché, de l’offre et de la demande courantes. Ainsi présentée, l’allocation universelle ouvre une perspective cohérente face au droit au travail et met en place les ressources pour sa réalisation. (p. 99-100) Il n’existe aucune harmonie préétablie entre l’efficacité et l’équité, mais j’ai rappelé que ces valeurs ne s’opposaient pas nécessairement et qu’il est possible de chercher à les concilier, sinon dans l’absolu, du moins d’une meilleure façon qu’aujourd’hui, en gardant à l’esprit que, en cas de conflit, la justice devrait toujours avoir priorité sur l’efficacité. Les changements rapides sur les plans économique et technologique obligent à définir des formes de solidarité plus souples et mieux ajustées aux nouvelles réalités sociales et économiques. Des mesures qui ne découragent pas l’initiative individuelle et qui augmentent les possibilités de chacun d’occuper une activité utile dans des domaines aussi variés que les loisirs, la connaissance, la protection environnementale ou les soins donnés à d’autres personnes.  (p. 106) Nous convenons maintenant que le versement d’une allocation universelle, en ce qui concerne par exemple les barèmes de l’aide sociale, demanderait forcément un effort budgétaire supplémentaire. Cet effort soutient deux objectifs fondamentaux de la politique sociale contemporaine (i) l’individualisation des transferts (pour mettre fin aux enquêtes touchant les ménages); et (ii) une meilleure intégration de la fiscalité et des transferts (pour éliminer la trappe fiscale des prestataires actuels et augmenter les revenus nets des actifs pauvres). Ces objectifs sont hautement désirables et il est regrettable que nous ayons tant tardé à les prendre en charge. (p. 118) Cela étant dit, je garde tout de même des réserves importantes sur le projet consistant à lier à tout prix la réalisation à court terme de l’allocation universelle à un élargissement de l’assiette fiscale. Tout d’abord, on multiplie les difficultés mais aussi les occasions de résistance au changement, ce dont nous n’avons nul besoin dans le cas d’une mesure déjà politiquement aussi controversée et dont les opposants les plus farouches se rencontrent autant à gauche qu’à droite. Deuxièmement, et c’est à mon avis le motif le plus décisif, ce n’est pas la meilleure façon de faire les choses du point de vue de la gestion publique. L’augmentation des recettes de l’Etat ou la rationalisation de ses dépenses seront toujours à l’ordre du jour, allocation universelle ou pas. Cependant, il vaut la peine de procéder par étapes à partir de substitutions relativement simples sur lesquelles il existe des possibilités réelles de réunir un assez large consensus. Nous pourrons ensuite progressivement augmenter la prestation pour lui faire atteindre des niveaux substantiels. Une introduction brusque causerait des modifications radicales dans la répartition des revenus des ménages et favoriserait indûment les couples par rapport aux individus. Cela peut bien être une conséquence souhaitable de l’individualisation des transferts et de leur intégration de la fiscalité mais il n’en faut pas moins continuer de protéger les revenus les plus faibles pendant cette période de transition. Quand la majorité des citoyens auront senti les effets bénéfiques des modifications envisagées ici, quand ils se seront habitués à la reconnaissance de certains principes fondamentaux comme le droit à un revenu de base stricte ment inconditionnel, cumulable et individualisé, les résistances reposant uniquement sur des préjugés tomberont, du moins c’est à  espérer. Nous saurons alors que ces changements sont bénéfiques pour l’ensemble de la société et pour toutes les générations réunies. L’allocation universelle, comme toute politique, doit donc faire ses preuves. (p. 128-9) Comme la plupart des défenseurs de l’allocation universelle, je propose donc de ne pas lier, du moins de façon absolue, sa réalisation à court terme à des transformations de fond dans les sources de revenus de l’État. Je suggère plutôt, dans une démarche initiale mais nécessaire, de faire mieux avec les sommes déjà à notre disposition. Cette attitude, en plus d’être plus prudente économiquement et politiquement, ne nous empêchera nullement, dans une seconde étape, de voir rapidement à sa bonification. Au contraire, ce sera d’autant plus facile que l’effort demandé pour la mise en place d la nouvelle structure aura été somme toute assez faible. (p. 129-130) Si l’on veut abolir tous ces programmes conditionnels pour les remplacer par un seul régime simplifié et transparent, et il faut le faire, on doit en contrepartie hausser corollairement les taux d’imposition de revenus plus élevés pour absorber leur équivalent dans les revenus disponibles et les effets distributifs escomptés. Ceci n’est ni compliqué ni inusité. Le système fiscal possède une fonction redistributive et il est normal, voire nécessaire dans de nombreux cas, de le modifier pour prendre acte effectuées sur le plan des transformations des transferts directs aux personnes.  (p. 132-3) L’amélioration du sort des assistés sociaux actuels doit passer obligatoirement par une diminution draconienne de leur taux marginal d’imposition effectif et non par une augmentation des barèmes de l’aide sociale, qui ne ferait que créer encore plus d’exclusion. (p. 135) L’allocation universelle partielle, à laquelle des transferts conditionnels demeurent liés pour une période de transition, offre une solution plus réaliste tout en entamant des changements non négligeables dans notre façon de réaliser la solidarité dans notre société. (p. 140) L’instauration de l’allocation universelle nous amènera à réféchir à différents volets de l’Etat-providence actuel et peut faciliter réalisation de certaines réformes devenues urgentes. Rien, surtout pas la justice, n’exige de limiter le niveau de l’allocation universelle à son seuil le plus faible. Rien, surtout pas la justice, ne nous engage à devenir les gardiens du statu quo et des institutions existantes. (p. 142-3) Indexer l’allocation universelle l’évolution du produit national à lui permettrait d’atteindre des niveaux substantiels plus rapidement puisque celle-ci est généralement plus élevée que le taux d’inflation. Il s’agirait, bien sûr, d’une véritable révolution dans notre façon de concevoir la redistribution de la richesse, mais cela ne relève pas nécessairement de l’utopie. (p. 143) Je crois fermement que l’allocation universelle se retrouvera au coeur des propositions de réforme de la politique sociale du XXIe siècle. Nous devons donc nous y préparer sans plus attendre. (p. 140) L’allocation universelle ne se fera pas en un jour et cela n’est pas en soi mauvais, car nous bénéficierons de temps pour nous y préparer et réfléchir à ses conséquences multiples. N’oublions jamais que,   d’une certaine façon, l’esprit de solidarité qui anime l’allocation universelle se retrouve déjà parmi nous dans certaines des réalisations institutionnelles dont nous pouvons être le plus fiers: l’instruction gratuite et l’accès universel aux soins de santé. Il s’agit de maintenir ce cap, mais en insistant maintenant sur l’idée de citoyenneté économique. (p. 159) L’allocation universelle ouvre sans aucun doute de nouvelles perspectives sur les rapports que citoyens et citoyennes devraient entretenir au sein d’une société juste. C’est de ce nouveau monde qui s’offre en partie à nous aujourd’hui même qu’il faut commencer à débattre. (p. 162)

L’aide humanitaire en argent et le revenu de base

On parle beaucoup de projets-pilotes et d’expérimentations du revenu de base comme moyen d’en vérifier la validité. Ceux que l’on a réalisés (Inde; Malawi; Dauphin, Manitoba; Caroline du Nord) on été positifs, mais on chipote, on leur trouve des défauts: pays qui ne nous ressemblent pas, autre époque, pas analysés, etc. Et il y a ceux qui sont en cours, en Finlande et en Ontario, entre autres, qui n’ont pas ces défauts, mais dont les résultats ne sont encore que fragmentaires. On oublie cependant d’autres actions qui amènent de l’eau au moulin du mouvement pro-revenu de base: de plus en plus d’aide se donne en argent comptant. Plusieurs organismes d’aide internationale on pris cette direction et connaissent de très bons résultats. Par exemple, c’est le cas de l’International Rescue Committee. The Guardian a consacré un article très intéressant sur le sujet. Pour le lire, cliquez ici. Circonscrite, plus petite et moins connue,  il y a de plus en plus de l’aide directe en comptant donnée à des personnes qui ont vécu des catastrophes. C’est ce qu’a fait la bien connue Dolly Parton lors d’un feu qui a jeté plusieurs personnes à la rue au Tennessee. Très rapidement (en 48 heures, dit-on), elle a rassemblé assez d’argent pour donner à 1 000 familles 1 000 $ par mois, pendant six mois, et 5 000 $ à la fin de ces six mois. Dans un sondage leur demandant quelle aide leur avait été la plus utile, 11% des sinistrés ont mentionné le support psychologique, 27% le soutien matériel et 62%, l’argent comptant. Pour lire l’article qui en parle, cliquez ici. L’analyse de ces actions humanitaires montre que la liberté que donne l’aide au comptant, sans condition, est appréciée, et efficace. Un revenu de base n’aurait-il pas le même effet dans nos sociétés?