Rencontre avec le ministre qui a écrit un livre sur le revenu de base

Le 12 et 13 novembre dernier, j’assistais à un congrès tenu par le Parti libéral du Québec qui dirige actuellement la province. Le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais, accompagné de son collègue aux finances de l’État, confirmait qu’un comité d’experts rendrait un rapport préliminaire sur le revenu de base au printemps. L’Ontario (dont la population avec celle du Québec forme 62% de la population canadienne), province voisine, vient tout juste de livrer un document de travail sur un projet pilote qui démarrerait en avril 2017. Québec ne semble pas envisager l’idée d’un projet pilote. Durant son exposé, le ministre Blais accordait beaucoup d’importance aux principes sous-jacents au développement du projet de son gouvernement :
  • Le développement du capital humain (comme l’éducation, par exemple)
  • L’obligation de se protéger contre certains risques (avec, par exemple, l’assurance chômage et santé)
  • La redistribution des revenus
Le discours du ministre était fortement centré autour des incitatifs au travail ou à la formation (spécialement pour les analphabètes ou les personnes sans diplôme d’études secondaires). Le principe d’inconditionnalité, aspect fondamental du revenu de base, ne fait donc pas partie du plan du gouvernement. À la deuxième journée du congrès, c’était au tour du ministre de me demander s’il avait répondu à ma question. J’avais décrit ma situation personnelle comme cas de figure. J’ai 62 ans, donc trois années me séparent de ma pension de vieillesse du Canada, laquelle suffit généralement pour sortir les gens de la pauvreté (en tout cas, ça fonctionne pour moi!). Pourquoi le gouvernement s’intéresserait-il au développement de mon capital humain? Le ministre répond : « Dans un cas comme le vôtre, il faudrait reculer dans le temps pour voir quels sont les choix que vous avez faits. » J’ai plusieurs diplômes universitaires qui n’aident pas son argument. Je suis néanmoins sous-employé ou bien non employable. Le ministre ne pouvait que répondre : « J’aurais besoin d’en connaître plus sur votre cas particulier. » Et c’est ce que le gouvernement fait et fera encore à toutes ces personnes qui sont considérées comme étant « aptes au travail ». Un petit inconvénient bureaucratique pour celles « inaptes au travail » sera supprimé et leur insuffisante prestation sera bonifiée, en puisant à même les fonds autrefois utilisés pour les personnes « aptes », à mesure que celles-ci reprennent le boulot. Le gouvernement ne voit aucun problème avec la loi adoptée dernièrement (Loi 70 : Loi visant à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi). Le gouvernement souligne les mesures positives qui sont imposées pour aider les participants à intégrer le marché de l’emploi. Les personnes qui préfèrent une approche non paternaliste (« Donnez-moi l’argent et laissez-moi faire mes propres choix ») sont pénalisées. En fait, l’ironie, c’est qu’avant d’entrer en politique, le ministre Blais a écrit un livre pour défendre un revenu de base pour tous. Et il m’a confirmé qu’il croit toujours en ce qu’il a écrit il y a 15 ans. Au Canada, les gouvernements fédéral et provincial remboursent tous deux la taxe de vente partiellement. Ici, au Québec, le Crédit de solidarité rembourse en partie la valeur estimée qu’ont payée les consommateurs. Plus votre revenu annuel augmente, plus le transfert mensuel diminue. Il fonctionne donc comme un impôt négatif sur les revenus. Le ministre s’est fait questionner au fait que ça pourrait être un premier échelon vers un revenu de base. Il a seulement répondu que cela constituerait « une approche plus radicale ». Évidemment, les crédits d’impôt n’ont pas d’impact sur le « capital humain ». Vous pouvez être certains que je lirai à nouveau le livre de François Blais lorsque le rapport de son groupe d’experts nous parviendra l’an prochain. *** Texte de Pierre Madden, originalement publié sur BasicIncome.org | http://basicincome.org/news/2016/12/canada-meet-minister-wrote-book-basic-income/

Ni universel, ni individuel, ni inconditionnel

C’est à Voltaire que l’on doit ce bon mot: le Saint Empire romain n’était en aucune manière ni saint, ni Romain, ni empire. De la même manière je suis convaincu que le Revenu de Base, qui sera probablement implémenté dans les dix prochaines années, ne sera ni universel, ni individuel, ni inconditionnel, caractéristiques qui le définissent pourtant.

Une allocation universelle est tout simplement trop chère. Seul l’Alaska peut se permettre de distribuer une part de ses revenus de pétrole à chaque habitant, homme, femme et enfant. Donner à tous le même montant pour en récupérer une bonne part sous forme d’impôt peut sembler illogique. C’est pourquoi la plupart des propositions sérieuses sont conçues sous forme d’impôt négatif sur le revenu (INR). En fait, il existe déjà dans les systèmes fiscaux canadiens fédéral et provincial des mécanismes qui fonctionnent comme INR avec déboursement réguliers.

L’unité de base de notre société c’est la famille. Les statistiques sont tenues par ménage. Un individu n’est qu’un couple divisé par la racine carrée de deux. Ceci n’est en partie que la reconnaissance des économies d’échelle de la vie collective. Il n’en coute pas quatre fois plus pour vivre dans une famille de quatre que de vivre seul, seulement deux fois (le cout de vivre seul fois la racine carrée de 4). Au Québec, deux individus, sur l’aide sociale, partageant un appartement recevraient chacun $623 par mois pour un total de $1246. À un moment donné, le gouvernement va considérer qu’ils sont conjoints de fait et couper leurs bénéfices à $965 en tout (le gouvernemnt ne suit pas la règle de la racine carrée). Le fait que ces personnes ne partagent pas le même lit ou sont frère et soeur n’est pas pertinent. Líndividualité systématique soulèverait le problème de “la femme du banquier”. Le banquier est très riche, mais sont épouse qui reçoit tous les bienfaits de cette richesse n’a aucun revenu personnel et serait éligible aux subventions. Bien sûr, on plaide avec raison que ces femmes (de tous les niveaux sociaux) sont souvent prisonnières, incapables, par exemple, de fuir une relation abusive.

Finalement, les gouvernements sont réticents à abandonner la conditionnalité des bénéfices, relent paternaliste de la distinction entre les pauvres méritants et non méritants. L’engagement d’une démocratie libérale à fournir à tous une éducation de qualité n’est pas du paternalisme, mais la reconnaissance d’un droit fondamental. Ce droit s’étend aux citoyens à la fin de la vingtaine, début trentaine à mesure que les emplois pour cette génération disparaissent et que ceux qui demeurent requièrent plus de qualifications. Aujourd’hui tous les programmes d’aide gouvernementale non reliés à la santé reposent sur la condition de recherche d’emploi. L’aide elle-même ne doit en aucun cas compromettre l’incitatif au travail. Il y a un côté économique à cette position: la peur de la flambée des salaires, la chute des profits et l’écrasement de l’économie si personne ne veut plus travailler. L’autre part est idéologique: le travail et les études sont là pour développer et protéger le “capital humain.” La sagesse gouvernementale plutôt que la liberté individuelle décide comment ceci est défini.

Bien que je sois optimiste que le Revenu de Base verra le jour de mon vivant, je suis prêt a accepter une version imparfaite et laisser aux générations futures la tâche de l’améliorer.

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Texte de Pierre Madden, originalement publié sur BasicIncome.org | http://basicincome.org/news/2016/12/neither-universal-individual-unconditional/