Bullshit jobs et revenu de base

Les «bullshit jobs», selon David Graeber, sont des emplois rémunérés et pourtant inutiles, superflus et même néfastes pour certains, dont les travailleurs mêmes (et parfois leurs supérieurs aussi) savent qu’ils sont inutiles ou néfastes.

Dans la traduction française de son livre sur le sujet, on les appelle les «emplois à la con».

On trouve une bonne description critique de la théorie de Graeber sur Wikipedia. On peut être d’accord ou non avec son opinion assez extrême; après tout c’est un anarchiste libertaire avoué et actif. Mais c’est aussi un anthropologue de renom et un professeur à la très sérieuse London School of Economics et sa théorie s’appuie sur une grande quantité d’entrevues qu’il a menées lui-même et sur des statistiques officielles.

Il ne prend pas de position politique, ni ne fait des de proposition de solution sur les emplois inutiles. Cependant, il constate que le «revenu universel de base» donnerait le pouvoir de les quitter et la liberté de s’occuper à un travail qui a du sens personnellement et socialement.

Son livre se termine par une question que toute personne militant pour un «revenu universel de base» se pose:

«À quoi ressemblerait une société authentiquement libre?»

Ces vidéos vous donneront le moyen de connaître rapidement ses idées; et l’envie de lire son livre…

Typologie des emplois inutiles (en anglais)
Survol de Bullshit Jobs, la théorie
Les emplois inutiles rendent malade

Rapport sur l’Ontario

L’expérimentation de revenu de base en Ontario a été arrêtée en plein élan par le gouvernement Ford, après seulement un an sur les trois prévus, on le sait. Ce qu’on sait moins, c’est que le projet était accompagné d’une évaluation sérieuse de ses résultats, qui a été abandonnée aussi, bien sûr. Voici une étude qui a voulu y pallier.

Extrait:
«En plus d’interrompre prématurément les paiements aux bénéficiaires en mars 2019, le gouvernement a également annoncé qu’il mettrait fin aux activités d’évaluation à partir de juillet 2018. En conséquence, les précieuses connaissances et expériences des bénéficiaires du revenu de base risquent d’être abandonnées et perdues. Le présent rapport vise à combler partiellement cette lacune en donnant un aperçu des effets du revenu de base sur la vie des bénéficiaires dans les comtés de Hamilton, Brantford et Brant.»

todd.smithco@pc.ola.org

Interrogé sur ce rapport, Todd Smith, le ministre de l’enfance, des services communautaires et sociaux, a répondu au nom de Ford par l’argument habituel pour esquiver le sujet, le retour au travail d’abord et avant tout:
“Un projet de recherche qui n’a porté que sur 4 000 personnes n’est pas une solution adéquate pour résoudre le problème dans une province où nous avons beaucoup trop de personnes vivant de l’aide sociale … Ce que nous faisons, c’est en fait prendre des mesures pour que les gens puissent retourner au travail”. Voir: Huffington Post.
Or, justement, l’un des effets bénéfiques prouvés de l’expérimentation est que les trois quarts de ceux qui travaillaient ont continué à le faire et un quart des travailleurs à bas salaire ont accédé à des emplois mieux rémunérés. De toute évidence, le ministre a rejeté une étude qu’il n’a pas lue.

Plusieurs autres effets bénéfiques ont été notés.

Pour en savoir plus: écouter cette entrevue à CBC avec l’un des auteurs de l’étude, le professeur Wayne Lewchuk de l’université McMaster.

Pourquoi redéfinir le travail

Quelle différence y a-t-il entre la gardienne d’enfant et la mère-au-foyer; entre la personne rémunérée qui prend soin de parents vieillissants et la personne qui prend elle-même soin de ses parents vieillissants; entre le jardinier qui s’occupe du terrain d’une autre personne et la personne qui cultive elle-même son jardin; entre la personne qui collecte, observe, enregistre et catalogue le chant des oiseaux et l’ornithologue qui fait de même; entre la personne qui produit du contenu divertissant pour ceux et celles qui la suivent sur les réseaux sociaux, si elle est chanceuse, en faisant un peu d’argent avec du placement de produits et la personne qui produit de la publicité pour vendre des petits gadgets techno?

À cette question, la co-directrice du Lake Erie Institute, Nurete Brenner, écrit que la réponse, trop simpliste, est évidement : l’argent, parce que nous vivons dans un système économique que nous avons créé de manière à ce que toute activité reconnue comme du « travail » se limite strictement à ce qui génère du profit pour une entreprise. Les autres activités, à savoir celles qui ne sont pas rémunérées, ne sont pas du travail. Elles sont considérées comme de purs loisirs, bien qu’elles puissent être en toutes choses identiques au « travail ». Comment notre relation avec le « travail » est-elle devenue aussi tordue, s’interroge-t-elle? Que se passerait-il si nous changions cette relation avec le travail? Quels seraient les impacts d’un tel changement sur les autres aspects de la société?

Dans la modernité, le fait que tout « travail » serait bon en lui-même s’est érigé en principe moral bien ancré, ce qui en rebute plusieurs à l’idée d’offrir un revenu de base. Ils craignent que le revenu de base encourage les paresseux à passer leur journée bien assis sur leur sofa à écouter la télé. Rien n’est certain, mais Nurete Brenner suggère qu’il y aurait pourtant beaucoup à gagner, notamment en termes d’environnement et de santé publique. L’idée de verser un revenu de base universel a le potentiel de changer notre définition du travail, accordant à toutes et à tous une certaine valeur de facto, sans avoir besoin de montrer quelconque mérite, restaurant ainsi la dignité des personnes dont les activités ne sont pas rémunérées, comme les mères, les proches-aidant.e.s, les artistes, les passionné.e.s de la nature, etc.

Ceci est un résumé du texte intégral de Nurete Brenner, « Why Work Doesn’t Work », publié sur sa page Linkedin, le 2 mai 2019. URL : https://www.linkedin.com/pulse/why-work-doesnt-nurete-brenner/ (page consultée le 2 mai 2019).